Les bioaérosols : Un vecteur sous-estimé de dissémination de la résistance aux antibiotiques dans les élevages de poulets de chair
Auteurs : Joanie Lemieux, Antony Vincent, Ève Bérubé, Marthe Bernier, Meredith Elizabeth Gill, Luc Trudel, Nathalie Turgeon, Maurice Boissinot, Frédéric Raymond et Caroline Duchaine
Départements et instituts associés aux auteurs :
Département de biochimie, microbiologie et bio-informatique, Faculté des sciences et de génie, Université Laval
Centre de recherche de l’Institut de cardiologie et pneumologie de Québec, Université Laval
Département des sciences animales, Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation, Université Laval
Centre de recherche en infectiologie de l’Université Laval, axe maladies infectieuses et immunitaires, Centre de recherche du CHU de Québec, Université Laval
Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels, Université Laval
Chaire de recherche du Canada sur les bioaérosols
Article publé dans Nouvailes, Septembre 2024, Volume 28, Pages 38 à 41
Au Canada, près de 80 % des antibiotiques distribués au pays sont utilisés pour la production d’animaux d’élevage. Ces antibiotiques sont majoritairement administrés aux animaux pour prévenir et traiter les infections. L’utilisation de ces antibiotiques accélère le phénomène naturel de résistance aux antibiotiques (RA), favorise l’émergence de bactéries résistantes aux antibiotiques (BRA) et la transmission de leurs gènes de résistance (GRA). Les Éleveurs de volailles du Québec ont été proactifs au sujet de la RA en décidant de réduire l’utilisation d’antibiotiques et même de ne plus utiliser certaines catégories d’antibiotiques.
Les bioaérosols
Les élevages, comme ceux de poulets de chair, sont de grands émetteurs de bioaérosols. Les bioaérosols sont des particules biologiques hétérogènes en suspension dans l’air qui peuvent contenir des micro-organismes, dont des BRA. Les sources principales de bioaérosols dans un poulailler sont les poulets (peau, plumes et fientes), la litière et la moulée.
Une fois en suspension dans l’air intérieur d’un poulailler, un bioaérosol a le potentiel d’être émis à l’extérieur via les ventilateurs qui poussent l’air hors du bâtiment.
Une fois à l’extérieur, le devenir des bioaérosols dépend de plusieurs facteurs comme leur taille de même que la vitesse et la direction des vents. Ces facteurs influencent la distance que ces derniers peuvent parcourir, allant de mètres à plusieurs kilomètres. Donc, un bioaérosol contenant une ou plusieurs BRA peut être un véhicule permettant de propager la RA vers des environnements autres, proches des élevages et des activités humaines.
Cette recherche s’attarde, en partie, au profil des BRA viables présentes dans l’air intérieur de poulaillers de poulets de chair, et permet de comparer les productions conventionnelles avec celles sans antibiotiques. Les productions qui utilisent des antibiotiques sont des élevages dits conventionnels alors que certaines productions qui font le choix de ne pas administrer d’antibiotiques sont appelées « sans antibiotiques ».
Méthodologie
Un échantillonneur d’air assurant la viabilité des bactéries, récolte les bioaérosols dans l’air intérieur de quatre poulaillers, deux conventionnels et deux sans antibiotiques. Les échantillons d’air contenant les bioaérosols sont ensuite appliqués sur des milieux de culture contenant des antibiotiques. Les bactéries résistantes qui se sont multipliées en présence d’antibiotiques sont isolées et analysées en détail pour identifier quels sont les GRA encodés dans leur matériel génétique.
Constations préliminaires
La comparaison entre les élevages conventionnels et sans antibiotiques permettra de savoir s’il y a une différence dans le profil des GRA qui pourrait être associée à l’administration ou non d’antibiotiques. Tous les GRA ne sont pas problématiques. Ceux considérés comme critiques sont ceux qui se retrouvent en circulation dans la population, humaine et animale, puisqu’ils peuvent causer des difficultés lors du traitement de certaines infections.
La présence de BRA dans l’air de poulaillers de poulets de chair élevés sans antibiotiques n’est pas surprenante. Les BRA sont présentes dans tous les environnements, à commencer par les intestins des animaux et des humains. Il est possible que les poussins arrivant dans les élevages pour l’engraissement soient déjà porteurs de BRA et GRA. Aussi, l’environnement du poulailler (litière, eau, moulée) n’est pas exempt de BRA et peut contribuer à enrichir le profil des GRA identifiés.
Les résultats de cette recherche seront cruciaux puisqu’ils ouvrent le dialogue sur la nécessité de mettre en place des méthodes de contrôle des sources de bioaérosols et de créer des outils de surveillance de l’air à l’intérieur et à l’extérieur des élevages. La capacité de certains bioaérosols à transporter des BRA et leur GRA, provenant de l’intérieur vers l’extérieur et sur des distances variables, pose un risque potentiel pour la santé publique et les écosystèmes environnants.
Pour atténuer les risques associés à la dissémination des BRA, plusieurs mesures sont recommandées :
1. Surveillance de la qualité de l’air.
Mettre en place des systèmes de surveillance réguliers pour détecter la présence de BRA dans l’air intérieur de même que dans l’air près des élevages.
2. Meilleures pratiques de gestion dans les élevages.
Réviser les protocoles de gestion pour minimiser la production et la dispersion de bioaérosols contenant des BRA, en réduisant la poussière, par exemple, ou par la bio-filtration de l’air sortant des ventilateurs d’extraction.
3. Réduction de l’utilisation des antibiotiques
Encourager l’utilisation prudente et ciblée des antibiotiques en élevage et adopter des alternatives aux antibiotiques pour contrer les maladies animales. Joanie Lemieux ajoute que les poussins sont probablement porteurs de GRA qui ne viennent pas de l’environnement de l’élevage, mais potentiellement transmis par la pondeuse lors de la formation de l’œuf et ensuite dans l’environnement de l’incubateur. De plus, le fait d’élever des poussins sans antibiotiques n’empêche pas la présence de certaines BRA et de leurs GRA.
Les résultats de cette recherche ouvrent le dialogue sur la nécessité de mettre en place des méthodes de contrôle des sources de bioaérosols et de créer des outils de surveillance de l’air à l’intérieur et à l’extérieur des élevages.
Ces mesures sont essentielles pour protéger la santé publique, la santé animale et l’environnement. Il est impératif que les éleveurs, les chercheurs et les décideurs collaborent pour mettre en œuvre ces recommandations et prévenir les crises sanitaires. Ces actions intégrées font partie de l’approche « Une seule santé » mise de l’avant par l’Organisation mondiale de la santé, car la santé des humains, celle des animaux et celle des écosystèmes sont étroitement liées.
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